...
pour une rigueur empreinte de générosité
Nous vivons dans une période très
troublée. Le monde est dirigé par le mercantilisme. Le
mensonge est prôné comme une normalité … pourvu qu’on
soit en guerre. Mais quelle est donc la relation de ces tristes
constatations avec la profession médicale et les études qui y
mènent ?
En fait tout … et cela se cache sous des termes tels que déontologie
et éthique.
On
peut classer l’exercice et l’enseignement médical parmi les
activités économiques. Cela veut dire qu’ils peuvent être générateurs
de revenus et de profits. Mais c’est bien autre chose de
considérer que c’est leur objet et leur finalité
principale. Nous n’en sommes malheureusement pas loin.
Nous voyons des patients qui croient pouvoir s’acheter une
santé auprès de leur médecin. Il suffirait de le payer pour
que par retour il vous guérisse. Ce n’est pas par hasard que
le terme « shopping médical » s’est inscrit dans
le vocabulaire coutumier. Nous voyons des étudiants qui croient
pouvoir acheter une formation. Pour leur bon argent le
professeur est tenu de leur livrer un certain volume de
connaissances. Cette approche n’est pas que le fait des
patients et des étudiants. Le comportement de certains
professionnels de la médecine (y compris des médecines complémentaires)
ou de certaines organisations d’enseignement, vendeuses de
diplômes et de certificats, ne font que souligner le phénomène.
Or
dans notre profession de foi de médecin, de professeur, de
dirigeant d’un Institut d’enseignement, nous prônons une
vision différente.
L’objet
de la pratique médicale est de favoriser la guérison et le
bien-être des patients et ce, dans un esprit de confiance,
voire de connivence réciproque. Pour pouvoir atteindre cet
objectif, le futur praticien doit d’astreindre non seulement
à des études longues et coûteuses, mais aussi développer un
esprit de générosité et de compassion exemplaires vis-à-vis
de l’humanité souffrante. Chaque médecin se doit d’avoir
l’ambition d’être le meilleur dans sa branche, car c’est
ce meilleur que le patient est en droit d’attendre. S’il
s’en suivait par hasard quelque réputation flatteuse ou
quelques gains matériels, ce n’en sera que tant mieux. Mais
il me semble logique que l’un précède l’autre.
Cet
esprit d’abnégation personnelle et d’investissement dans le
bien d‘autrui s’acquiert dès la formation. Un candidat étudiant
qui se présente dans un esprit de simple transaction
commerciale, qui lui permettrait d’acquérir des titres
ronflants ou des connaissances précieuses en échange de
quelque capital, se trompe lourdement. Le paiement d’une école
n’équivaut en fait qu’à un droit d’inscription, à la
possibilité de partager certains lieux et certains moments avec
ses professeurs. Quant au fait d’acquérir des connaissances,
elles dépendent uniquement de l’investissement personnel de
l’étudiant, du temps et des efforts qu’il y consacre. Mais
là encore, « investissement » est un terme bien
malheureux. Dans l’étude, et c’est certainement le cas dans
celle de la médecine chinoise, il faut encore d’autres qualités.
Il y a la patience ; il y a l’humilité ; il y a le
respect.
Quel
que soit «l’investissement» consenti en termes d’argent,
de temps et d’effort, il reste stérile si l’on n’accepte
pas la règle nécessaire du temps qui mûrit toute chose. Les
dix premières années de l’étude de la médecine chinoise
permettent tout juste d’acquérir un vernis de connaissance.
Un étudiant qui a appris le Huangdi Nei Jing ou le Shang Han
Lun par cœur, fera sans doute sensation. Mais si en plus de
cela, il ne fait pas l’effort de les réciter encore mille
fois, de les réinterpréter à chaque répétition et de les méditer
pour en extraire la substantifique moelle, utile au patient, sa
connaissance ne restera qu’un vernis, passager et vain.
Cette
patience est directement relatée à un esprit d’humilité.
Celle-ci doit s’exercer en face de cette science médicale vénérable
et noble qu’est la médecine chinoise, tout comme vis-à-vis
des professeurs et des aînés. Rien n’est plus déplacé
qu’un étudiant, qui ayant acquis quelque vernis de
connaissance, s’en fasse prévaloir auprès de ses collègues,
de ses aînés ou de ses professeurs. Au moins ces derniers
distinguent rapidement le vernis de la vraie connaissance et ils
ne peuvent que s’apitoyer, à moins qu’ils ne soient choqués
par trop d’arrogance.
Puis
il y a le respect. La tradition encore vivace en orient nous en
donne un bel exemple. Un vrai professeur se sent responsable de
ses étudiants, comme un père pour ses enfants … ou comme un
grand-père pour ses petits enfants. Il est impensable qu’on
puisse le considérer comme un représentant de commerce en
train de vendre ses salades, face à un auditoire d’acheteurs.
Au contraire, le vrai professeur, en communiquant ses
connaissances, partage un peu de son âme. Dans cette démarche,
il sait combien l’étudiant aura besoin de temps et de
patience, de mûrissement pour atteindre les différents niveaux
de connaissance et d’aptitude pour devenir un bon médecin. Il
procédera donc par étapes, divulguant peu à peu ce qui est à
la portée de l’étudiant. Et comme il aime … il saura châtier.
Les
étudiants orientaux connaissent bien cette démarche et
traitent donc leurs professeurs en conséquence : avec
respect, humilité et souvent amour filial … même si dans
cette relation ils sont constamment mis à l’épreuve. En
occident, par contre, il n’est pas rare que le professeur se
trouve face à une sorte de tribunal d’étudiants arrogants
qui s’érigent en juges des qualités de leur enseignant. Or
l’essentiel de l’activité médicale est de servir.
Le praticien se trouve d’abord au service du patient.
C’est un esprit qu’il faut cultiver. Pendant qu’il étudie,
il se trouve au service de son professeur, qui lui apprend à
servir. Est-ce une relation d’asservissement ou de noblesse ?
La réponse sera conditionnée par l’âme du lecteur, déterminée
par l’égocentrisme ou la vraie compassion.
Voilà
bien des conditions. Il ne suffit pas de payer l’école. Il ne
suffit pas de travailler dur. Encore faut-il être patient,
humble, respectueux … Tel est l’esprit dans lequel nous
avons été éduqués, dans lequel nous avons appris la médecine
chinoise, que nous retrouvons dans les modèles qui nous
inspirent, que nous admirons et qui produisent non
seulement des grands médecins de la médecine chinoise , mais
aussi des modèles de noblesse et d’humanité.
Pierre
Sterckx CMD
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