De
l’impossibilité d’être un médecin célèbre |

Etre médecin
est sûrement difficile, mais être un médecin célèbre est
encore plus difficile. Pourquoi cela ? Un médecin célèbre
a une grande réputation. Il n’est pas facile de le faire
venir en lui envoyant juste un carton d’invitation ; on
doit avoir des moyens suffisants pour qu’il accepte de venir.
Et encore, il y a à craindre que ce soit à nous de lui rendre
visite plutôt que de le recevoir ; mais il se peut qu’il
nous reçoive. Sa résidence doit être éloignée ; il
n’est pas possible de partir le matin et d’y arriver déjà
le soir-même. Ainsi, des patients qui souffrent de maux mineurs
ne vont jamais faire appel à ses services. Seulement quand la
gravité de la maladie est vraiment dangereuse, et quand les médecins
à proximité sont totalement impuissants, et quand chacun pense
que la situation devient dangereuse, alors on va faire appel à
son aide, car quand tout le monde pense que la situation est
dangereuse, elle est vraiment dangereuse. La maladie doit aussi
avoir duré un certain temps, et le patient doit avoir changé
de nombreuses fois de médecin et essayé un grand nombre de
substances végétales et minérales. Un traitement erroné a
suivi un autre traitement erroné et la nature de la maladie a déjà
changé plusieurs fois, et, finalement, une pathologie
destructive est apparue.
Mais
comment n’importe quel médecin peut-il connaître une
technique véritablement capable de relever un mort et le
ramener à la vie ? Les patients qui ne comprennent pas les
principes de la médecine supposent que si quelqu’un a une
telle réputation, c’est qu’il a un pouvoir assez puissant
pour changer le cours du destin, et que si un médecin célèbre
est aussi
impuissant face à une telle situation désespérée que les
autres médecins, qu’est-ce qui le distingue alors des gens
ordinaires ? En fait, les patients placent de grands
espoirs en lui et le chargent de grandes responsabilités.
Evidemment,
s’il y avait un médecin ayant acquis le pouvoir de décider
de la vie ou de la mort d’un humain, ils serait très
embarrassé d’accepter la tâche qui se présenterait. Si la
maladie en question doit aboutir à la mort, il devra
s’expliquer sur les raisons de ne pas la traiter. Il déterminera
le moment de la mort du patient et ensuite partira immédiatement.
Par ce moyen, il évitera tout reproche au sujet de la mort du
patient.
Si
des conditions pathologiques particulières incluent une chance
minime de survie – même s’il s’agit d’une chance sur
dix mille – et qu’un médecin n’emploie qu’une formule
douce juste pour la forme avec pour effet que le patient n’a
pas la possibilité de survivre, cela lui troublera l’esprit.
Mais s’il emploie une formule puissante pour se battre dos au
mur contre une situation qui ne lui laisse qu’une chance sur
dix mille de changer le cours des choses, alors, en cas d’échec,
les critiques acerbes vont fondre sur lui comme un essaim
d’abeilles, et l’entière responsabilité des résultats des
traitements erronés des médecins précédents se reportera sur
lui seul. Il aura beau expliquer aussi clairement que possible
les motifs de sa prescription, l’être humain fondera toujours
son jugement sur la base du succès ou de l’échec. En fait,
si le patient meurt avec mes herbes dans sa bouche, je ne
pourrai éviter le blâme.
Ainsi,
il arrive souvent, après qu’une grave maladie ait été guérie,
que la condition du patient soit affectée par la présence
d’un pervers rémanent. Dans un tel cas, une attention
particulière devrait être apportée à un régime de
convalescence. Les patients ignorent ce fait et n’ajustent pas
leur mode de vie. La maladie est guérie, mais réapparaît, et
de nouveau la faute en incombe au médecin que l’on juge
insuffisamment qualifié. Pareille situation se présente
souvent. C’est pourquoi traiter une maladie est deux fois plus
difficile pour un médecin célèbre que pour un médecin ordinaire.
Connaissant
toutes ces difficultés, un médecin n’est jamais assez
prudent. Toutefois, les patients et leur entourage devraient
faire preuve de plus de compréhension. De plus, il y a des médecins
capables d’obtenir une réputation infondée. Où qu’ils
aillent, ils lèsent leurs patients par des traitements erronés.
Mais le patient dit : « Si cet homme a traité ma
maladie et qu’il ne m’a pas guéri, c’est sûrement le
destin. » En fait, ces
médecins tuent leurs patients, mais ils ne sont pas
appelés meurtriers. Les personnes qui font cela devraient user
de leur habileté dans d’autres techniques que dans la médecine.
Leur activité demeure en dehors des circonstances normales.
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